Bonjour et bienvenue dans Ex Libris !
La scène est à l’intrigue ce que la vertèbre est à la colonne vertébrale.
Petite, mais indispensable.
Rate-la, et ta structure écope d’une cyphose (comme moi).
Réussis-la, et ton récit s’élance vers le ciel de la fiction !
Aujourd’hui, prépare-toi à découvrir
La définition d’une scène (pour ne plus passer à côté)
À quoi sert une scène
Un exemple de scène réussie
Un exemple de scène ratée
Les 10 questions pour entreprendre l’écriture d’une scène
Déniche un café et bonne lecture !
Une note personnelle pour commencer
Écriture
J’ai effectué une première relecture-correction de BAM : Brigade des affaires magiques, ma fantasticomédie policière que je publierai dans Ex Libris prochainement.
Je dicte à mon ordinateur la nouvelle version grâce à un logiciel bluffant : BetterDictation, qui a une précision de 98 %.
Enfin une bonne utilisation de l’IA : le logiciel que j’attends depuis 10 ans !
Par ailleurs, j’ai rencontré deux illustrateurs pour la couverture et les en-têtes de chapitres. Ils m’ont donné leurs tarifs, bon fit avec les deux…
Je prends la décision la semaine prochaine.
La définition d'une scène (pour ne plus passer à côté)
Zoom arrière pour bien comprendre dans quel contexte se situe une scène :
Un récit est composé d’événements qui changent la situation de vie d’un personnage, situation exprimée et vécue en termes de valeurs.
Ces VALEURS dans le récit sont les qualités universelles de l’expérience humaine.
Elles peuvent passer du négatif au positif (et vice-versa) :
Vivant/mort
Amour/haine
Liberté/esclavage
Vérité/mensonge
Courage/lâcheté
Loyauté/trahison
Sagesse/stupidité
Fort/faible
Etc.
Un événement crée un changement significatif (pas accidentel) dans la situation vécue des personnages.
Ce changement est exprimé en termes de valeur et obtenu après un conflit.
Une SCÈNE (on y arrive !) est une histoire en miniature composée d’un ou plusieurs événements.
C’est donc une action à travers un conflit dans un temps et espace plus ou moins continus qui modifie la situation de valeurs d’un personnage et cela :
Sur au moins une valeur
Avec un degré de perception significatif
Une scène peut être longue ou courte, mais elle est unifiée autour du désir, de l’action, du conflit et du changement.
À titre indicatif :
Pièce de théâtre/épisode de série : ~ 40 scènes
Film : ~60 scènes
Roman : 80 scènes et plus
Source : Story, de Robert McKee.
Ce condensé de dramaturgie nous dit qu’une scène change quelque chose chez un personnage.
À quoi sert une scène
Une scène sert plusieurs objectifs.
Pour l’intrigue, dans chaque scène, un personnage cherche à réaliser un désir en relation avec son environnement et sa temporalité immédiate.
C’est le cœur du sujet.
Mais, au-delà, l’auteur peut poursuivre plusieurs buts :
Glisser une fausse piste
Caractériser un personnage
Préparer un « paiement » émotionnel
Fournir des informations indispensables à la compréhension de l’arène
Le critère que j’utilise dans mon travail quand je revois ma structure :
Si j’enlève une scène, est-ce que le lecteur/spectateur comprend encore mon histoire ?
Fonctionne-t-elle aussi bien ?
Si la structure ne s’effondre pas, alors la scène est dispensable.
Parfois, une scène peut avoir un objectif simple : introduire un personnage.
Dans Vivre, film intimiste d’Oliver Hermanus, Mr Williams, fonctionnaire londonien morne et indifférent, apprend qu’il lui reste 6 mois à vivre.
Ce film dramatique utilise une astuce scénaristique pour préparer l’apparition du protagoniste, Mr Williams.
Elle consiste à le mentionner dans la discussion de personnages secondaires.
En l’occurrence, ses subordonnés du département des parcs à la mairie de Londres.
Dans le train qui les mène à leur travail, ils décrivent à un nouvel employé son futur patron, dont il faut obtenir les grâces, ce qui est la chose la plus difficile.
Cette technique soigne l’entrée de Mr Williams, qui attend sur le quai, chapeau melon sur la tête.
Ses subordonnés le voient à travers la vitre du train.
Distant et intouchable.
Cette technique ne date pas d’hier, puisque Molière l’utilise dans Tartuffe, où Madame Pernelle décrit l’imposteur à ses petits-enfants (Acte I, Scène I) :
« C’est un homme de bien, qu’il faut que l’on écoute […]
Et tout ce qu’il contrôle est fort bien contrôlé.
C’est au chemin du Ciel qu’il prétend vous conduire,
Et mon fils à l’aimer vous devrait tous induire. »
Technique très utile, mais attention : elle crée une attente chez le lecteur/spectateur.
Mieux vaut prévoir un personnage à la hauteur !
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Un exemple de scène réussie
Dans Le Salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot (1953), des mercenaires transportent de la nitroglycérine (explosif instable) par camion sur plusieurs centaines de kilomètres de piste en Amérique centrale.
Parmi les scènes exceptionnelles à étudier pour un scénariste, celle du passage de la mare, le climax du film.
[SPOILER si vous ne connaissez pas]
À un moment du trajet, obstacle devant le camion de Mario et Jo : une rupture du pipeline gicle du pétrole et crée une mare.
Objectif/désir : passer en une traite pour éviter que le camion s’embourbe
Ticking bomb n°1: la mare continue à se remplir, il faut passer vite
Plan : Jo descend pour sonder la profondeur et enlever les branches
Obstacle : Mario lance le camion, mais Jo trébuche et s’affale dans le pétrole devant le camion
Dilemme pour Mario : s’arrêter et s’embourber ou rouler sur la jambe de Jo, qui l’implore
Problème : la lâcheté de Jo lui a attiré le mépris de Mario
Décision : Mario lui passe dessus mais…
Obstacle 2 : ne parvient pas à remonter la pente et s’embourbe
Ticking bomb n°2: le soleil tape à plein sur le camion. Passé une certaine température, la nitro explose…
Obstacle 3 : Mario sort Jo de la mare. Jo sait comment sortir le camion mais négocie pour boire alors que le temps presse.
Plan : planter un piquet et s’autotracter.
Obstacle 4 : le piquet plie…
Je vous laisse regarder la suite.
Je peux vous dire que chaque personnage voit au moins une "valeur" évoluer:
Par exemple, Mario a roulé sur la jambe de Jo: il se révèle dur-à-cuire, mais pas sans coeur puisqu’il le sauve après.
Un exemple de scène ratée
Trois pour le prix d’une, en réalité.
J’ai arrêté de regarder Rebel Moon (Netflix) au bout de 20 min.
Pas parce que c’est un ersatz de Star Wars (empire intergalactique, planète fermière isolée…).
Pas parce que la direction artistique manque d’inspiration.
Pas parce que l’interprétation est moyenne (le visage de l’actrice principale est d’une fixité anormale).
Mais parce que l’écriture est fainéante.
Ça commence avec une voix off qui sert la soupe en racontant la trahison de l’empereur par un gros méchant.
Première alerte d’originalité.
Ensuite, la scène 1 : du dialogue (pas très dynamique) donne 2-3 infos et établit les relations entre les personnages (un pseudo-triangle amoureux).
Bon. Début poussif.
Je vous passe une scène de liesse villageoise sur fond de musique irlandaise et d’allusions salaces.
Mais la scène 3…
Le cinéma est un art de l’image. Le fameux show don’t tell.
Donc quand la protagoniste nous déclare à la 8e minute :
Je suis une enfant de la guerre. Aimer et être aimée… je ne suis pas certaine d’en être capable. On m’a appris que l’amour est une faiblesse. Et… je ne vois pas comment ça pourrait changer.
Ça s’appelle une déclaration d’objectif trajectoriel (la trajectoire émotionnelle), dont, très souvent, le personnage n’a pas conscience.
Les scénaristes de Rebel Moon écrivent à visage découvert, sans subtilité, sans invention pour nous faire comprendre ça avec de l’action.
Alors, quand l’élément déclencheur est survenu (l’affreux sbire de l’usurpateur qui vient « tout prendre » en fracassant le crâne du chef du village… ce qu’on n’avait pas du tout vu venir), j’ai arrêté pour m’écouter de la musique classique en haute résolution.
J’ignore le budget de cette production, mais à mon avis, le scénario n’en a touché que la portion congrue.
En France, les dépenses de scénario représentent 4 % du budget d’un film.
Ce n’est rien quand on compare aux 10-15 % de budget R&D dans les industries traditionnelles.
Revenons à nos moutons à Rebel Moon, nous avions 3 scènes :
Peu originales
Statiques d’un point de vue des valeurs des personnages
« Photographs of people talking », comme disait Hitchcock, « ce qui n’a rien à voir avec l’art du cinéma »
Les 10 questions pour entreprendre l'écriture d'une scène
Voici les 10 questions que je me pose avant d'écrire une scène :
Arc narratif: Quelle position occupe cette scène dans l’arc de mon héros et de quelle façon cette scène l’amène à l’étape suivante?
Problèmes: En tant qu'auteur, quels problèmes dois-je résoudre et que dois-je accomplir?
Stratégie: quelle stratégie vais-je utiliser pour y parvenir?
Désir: à quel personnage appartient le désir qui mènera la scène? (c'est l'épine dorsale)
Aboutissement: à quoi aboutit le désir du personnage dans cette scène? (en déterminant la fin à l’avance, je construis l’ensemble de la scène en étant sûr d’aller vers ce point)
Adversaire: qui cherche à empêcher le personnage d’atteindre son objectif?
Plan dans la scène: quel type de plan — direct ou indirect — utilisera mon personnage pour atteindre son objectif ?
Conflit: la scène se terminera-t-elle à l’apogée du conflit ou y aura-t-il un apaisement?
Rebondissement, révélation ou dévoilement: cette scène comprendra-t-elle un rebondissement, une révélation ou un dévoilement ?
Débat moral et valeurs: à la fin de la scène, l’un des personnages fera-t-il un commentaire sur la nature profonde d’un autre ?
Source: L'Anatomie du scénario, John Truby
Avec ces questions, l'élaboration est plus efficace parce que consciente de ses objectifs.
Toutes ne sont pas indispensables, mais ce sont des jalons utiles.
Conclusion
Certaines scènes nous émeuvent, nous font rire ou nous cramponner à nos sièges…
Toujours est-il que celles qui nous marquent sont indispensables à la cohérence et la puissance du film ou du livre en question.
Elles sont toujours préparées par une structure.
Et ce sont des histoires en miniature, avec un début, un milieu, une fin et une progression émotionnelle.
Bonus si jamais tu retravailles une intrigue :
Une fois une scène écrite, demande-toi comment la réécrire sans recourir aux dialogues pour parvenir aux mêmes objectifs.
Cette contrainte t’ouvrira de nouveaux horizons.
C’était le 8e épisode d’Ex Libris et vous êtes plus de 840 dans la communauté.
MERCI !
Indique en commentaire tes questions sur cet épisode ou écris-moi par retour de ce mail. Tes avis m’aident à bâtir la suite.
Le prochain numéro présentera comment susciter et contrôler les émotions du lecteur.
Par ailleurs, si veux accélérer sur l’écriture de ton roman, j’ai ouvert des créneaux de coaching littéraire : réserve ici 45 minutes (gratuites) de découverte.
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Bons baisers de Nantes et à samedi prochain !
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