Bonjour et bienvenue dans Ex Libris !
En tant que romancier et scénariste, l’écriture d’atelier m’intéresse.
Et, en bon obsédé textuel, la généalogie des manuscrits de romans me passionne.
Alors, aujourd’hui, plongée dans les 2 ateliers d’écriture les plus célèbres de l’histoire de la littérature.
Prépare-toi à découvrir :
Les rouages de la collaboration entre Alexandre Dumas et Auguste Maquet
Maurice Druon et l’organisation de l’écriture des Rois Maudits
L’heure du café et de l’inspiration d’écriture a sonné !
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Une note personnelle pour commencer
Je boucle cette édition dans le TGV Nantes-Paris, ce qui me donne à chaque fois la nausée ( 👋 Sartre), car toutes les oreilles internes ne naissent pas égales.
Mais je le fais pour vous, pour que chaque samedi matin ce soit un peu Noël pour les amoureux d’écriture de fiction.
Alors :
Blague à part, let’s go 👇
Les rouages de la collaboration entre Alexandre Dumas et Auguste Maquet
Note : j’ai puisé les anecdotes et exemples de cette partie dans l’article passionnant Dans les archives d’un atelier littéraire, de Sarah Mombert.
Dumas et le besoin d’écrire vite
On ne présente plus Alexandre Dumas (1802-1870), romancier qui a donné ses lettres de noblesse au roman-feuilleton d’aventures.
En 1836, il découvre l’économie de l’attention : Emile de Girardin le recrute pour La Presse, nouveau journal quotidien
« conçu sur un modèle économique capitalistique tout à fait inédit.
Le journal de Girardin, deux fois moins coûteux que les autres quotidiens parisiens, se veut non partisan et s’efforce de plaire au plus grand nombre, afin de générer les revenus publicitaires qui rémunèrent les actionnaires.
On peut voir dans le lancement de La Presse l’entrée des périodiques français dans l’économie de l’attention : selon ce nouveau modèle médiatique, le véritable produit est l’espace de cerveau disponible, le client est l’annonceur plus que l’abonné, le journalisme et la littérature sont des produits d’appel, destinés à augmenter la chalandise du journal pour attirer les annonceurs. »
On a parfois l’illusion d’optique que certains phénomènes sont propres à notre époque.
Or, l’économie de l’attention a commencé il y a bientôt 200 ans ...!
Et le jeune Dumas a vite compris la puissance de la presse pour toucher un grand nombre de lecteurs.
Il a aussi découvert l’impératif d’écrire vite.
Auguste Maquet, l’autre Dumas
Auguste Maquet, professeur d’histoire suppléant, peine à percer en littérature.
Dans les années 1830, Dumas s’est fait une réputation de « carcassier », c’est-à-dire de bon scénariste, et de « teinturier » (dans l’argot des théâtres, ce mot désigne un dramaturge expérimenté capable de remanier une pièce avec talent).
En 1838, Maquet lui confie un premier drame, Bathilde, que Dumas remanie pour le faire jouer au théâtre.
En 1841, Le Chevalier d’Harmental, nouvelle historique proposée par Maquet et remaniée par Dumas, marque l’entrée du duo dans le roman historique.
Et le début d’une période de féconde collaboration, puisqu’ils écriront une vingtaine d’œuvres parmi lesquelles Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo et La Reine Margot.
Comment leur collaboration fonctionnait-elle ?
1. L’idée et ébauche
La correspondance des deux hommes indique que les idées des drames sont partagées.
En général, ils se retrouvaient autour d’un dîner pour ébaucher l’intrigue, à la manière d’une « room d’écriture » de scénaristes modernes. C’est l’occasion de poser
Le profil du récit : concept, saillance
Les nœuds narratifs
Les personnages principaux
2. La première copie
Maquet esquisse les grandes lignes de l’intrigue et propose des squelettes de dialogues en se basant sur l’ébauche évoquée au préalable.
Il augmente le tout de méticuleuses recherches historiques.
3. Le texte finalisé
Dumas récupère ce texte, à cheval entre le résumé et un premier jet, conserve les grandes articulations, les formules bien trouvées, et ajoute sa patte :
« Si elle découle visiblement de la copie, la rédaction définitive accentue les effets de registre, introduisant, selon les cas, du souffle épique, de l’esprit, du pathétique ou du pittoresque aux dialogues assez plats et aux descriptions sommaires de Maquet. »
Flux tendu
Si l’écriture n’est pas improvisée, les deux hommes travaillaient en flux tendu pour la production du texte, édité en feuilleton quotidien. Ainsi :
« Il arrive en effet au duo de travailler à deux ou trois romans simultanément, Dumas rédigeant le feuilleton d’un roman pendant que Maquet prépare la copie d’un autre. C’est ainsi qu’en mars 1845, les abonnés peuvent lire chaque jour un épisode de Vingt Ans après dans Le Siècle, de La Reine Margot dans La Presse et de La Guerre des femmes dans La Patrie. »
Conjuguer les forces
Il ne subsiste presque aucun manuscrit permettant une généalogie précise de tous leurs textes (Dumas utilisait puis jetait les brouillons de Maquet), hormis la fin des Trois Mousquetaires, que Sarah Mombert analyse dans son article :
« La comparaison […] montre clairement que, dans ce premier état de la collaboration romanesque, la copie initiale constitue un squelette du roman, solide et bien conçu, mais pratiquement dénué d’effets dramatiques et de style, non pas parce que Maquet en est incapable, mais parce que la répartition des tâches dans leur duo assigne ce rôle à Dumas.
Les deux collaborateurs conjuguent leurs forces : à Maquet revient la solidité du scénario et des connaissances historiques, à Dumas l’art du dialogue dramatique et spirituel, le développement cohérent des personnages, la couleur du style.
Le succès des Trois Mousquetaires, œuvre fondatrice du genre de cape et d’épée et moment important de l’histoire de la culture sérielle, résulte de la conjugaison de ces deux talents. »
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Maurice Druon et l’organisation de l’écriture des Rois Maudits
Qui était Maurice Druon ?
Neveu de Joseph Kessel, avec qui il a composé le Chant des Partisans pendant la Seconde Guerre mondiale à Londres, Maurice Druon était une plume acérée.
Il se fait remarquer avec Les Grandes Familles, son premier roman, qui obtient le Prix Goncourt en 1948.
C’est l’histoire de clans prestigieux de l’entre-deux guerre, une famille de banquier alliée à une famille noble (diplomate, militaires, écrivain académicien).
Cette fresque sociale qui combine portraits au vitriol, drames intimes, tripotages boursiers, récit symbolique sur la puissance, m’a fait penser à la saga de Pierre Lemaître, qui s’inscrit dans sa lignée.
Je vous recommande sa lecture, car il concentre un certain nombre de points techniques que j’aborde dans ma formation pour écrire un roman.
En 1955, il publie le premier tome de la saga historique des Rois Maudits, qui comptera sept ouvrages.
Il sera élu à l’Académie française en 1966.
Pourquoi écrire en atelier d’écriture ?
Maurice Druon en donne la raison dans un entretien avec l’atelier d’écriture au complet sur la RTF en 1955 :
« Une aventure de ce genre […] ne peut être réalisée par un homme seul, à moins d’être le travail de toute une vie.
J’ai donc pensé que, pour faire une fresque historique, une fresque épique, il fallait reprendre le système de travail des peintres de la Renaissance qui, pour couvrir les énormes surfaces qu’on leur commandait pour la décoration des monuments publics, avaient recours à des collaborateurs.
Et j’ai donc tenté de créer, en littérature, un atelier, comme les peintres de la Renaissance avaient des ateliers de peinture.
Et cette formule de l’écriture collective ressemble beaucoup aux systèmes les modernes de production dans l’imagination, qui sont les systèmes de production dans le cinéma [avec une équipe de scénaristes] si bien que je me suis entouré de techniciens pour chaque étape du travail. »
Les 4 étapes de la fabrication des Rois Maudits
1. Recueillir les documents les plus exacts sur la dynastie des Valois
L’historien Pierre de Lacretelle a réuni les chroniques et documents subsistants pour la vérité historique.
Il a identifié les personnages qui ont joué un rôle dans l’histoire de France.
L’époque des Valois était, dans les années 50, mal connue du grand public.
2. Définir le scénario
Georges Kessel, scénariste et membre de la famille de Druon, a construit le scénario avec Maurice.
Il a notamment déterminé le rôle des personnages clés.
3. Mettre en texte
Le romancier Jose André Lacour a écrit le premier jet.
Le romancier Gilbert Sigaux l’a remanié en donnant de la profondeur aux personnages.
D’autres romanciers ont participé aux tomes suivants, parmi lesquels Edmonde Charles-Roux ou Matthieu Galey.
4. Unifier
Druon a unifié le tout (action, rythme, point de vue) avec son style.
Pendant que Lacretelle vérifiait les détails historiques.
Pour garder la vision d’ensemble, maîtriser l’évolution des personnages, conserver la cohérence stylistique et les temps forts émotionnels, il faut une plume. Druon était talentueux, il suffit de lire Les Grandes Familles pour s’en rendre compte.
Et voilà comment on écrit à plusieurs mains des romans populaires fouillés.
𝐿𝑒𝑠 𝑅𝑜𝑖𝑠 𝑚𝑎𝑢𝑑𝑖𝑡𝑠 est un des plus grands succès éditoriaux de la deuxième moitié du XXe siècle.
Pour l’anecdote, Les Rois Maudits ont inspiré la saga du Trône de fer de George R. R. Martin. Nice job, Maurice !
Conclusion
L’écriture d’atelier m’intéresse beaucoup.
L’élaboration de l’œuvre, le surgissement des idées, l’augmentation stylistique, toutes les étapes apparaissent plus clairement que pour les manuscrits écrits en solitaire.
En 2024, j’ai coécrit un scénario de série avec mon associé. L’expérience m’avait plu.
Un jour, j’aimerais tenter l’aventure du roman à 4 mains avec une autre plume.
Si tu connais un auteur publié de SF/Fantasy désireux de tenter le coup, mets-nous en relation 😉
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Toujours très instructif ! J'aurais aimé avoir plus de contenus de ce type pendant mon cursus en fac de lettres. ^^
Très intéressante cette lettre, j’étais loin de me douter que ces œuvres si connues étaient collectives !