Éviter les pièges du genre et tourner ses spécificités à son avantage
Un sujet crucial dans une perspective de publication/financement
Bonjour et bienvenue dans Ex Libris !
Aujourd’hui, nous abordons un sujet capital que j’ai trop longtemps négligé (et je le regrette) : celui du genre.
Un sujet clé dans la perspective d’une publication professionnelle ou du financement d’un scénario.
Je pense que c’est une des raisons qui explique que mon roman d’anticipation climatique n’a pas (encore) trouvé d’éditeur. Eussé-je été un auteur connu, je n’aurais eu aucun mal à le vendre… Mais il est à cheval entre plusieurs genres, et son genre dominant n’est pas assez marqué pour rassurer les frileux éditeurs. Je l’autopublierai peut-être.
Ce que vous apprendrez dans ce 2e numéro d’Ex Libris :
Pourquoi les genres existent + la liste des 13 genres
Pourquoi c’est une erreur de méconnaître le genre dans lequel on écrit
1er impératif : bien exécuter les « scènes-à-faire »
2e impératif : éviter les clichés
Une théorie passionnante sur la puissance des œuvres de genre et comment les utiliser à votre avantage
Conclusion : les 2 « voies » viables quand on se lance dans l’écriture d’une œuvre avec un peu d’ambition
Temps de lecture estimé : 9 minutes
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Pourquoi les genres existent + la liste des 13 genres
Les industries créatives (littérature, audiovisuel) sont structurées par genre (action, polar, romance…)
Par les industriels pour faciliter le financement des œuvres et leur marketing (affiches, promotions, teasers)
Par les lecteurs/spectateurs eux-mêmes, que guident leurs préférences
Étiqueter une œuvre dans un genre, c’est signaler un raccourci vers ce qu’on va y trouver :
Un polar ? → meurtre/crime, enquête, fausses pistes, mystère, révélation…
Un film d’action ? → cascades, frissons, voyage…
Les classifications varient, mais voici une liste de 13 macro-genres dressée par le script doctor John Truby :
Horreur
Action
Mythe
Mémoires
Apprentissage
SF
Crime
Comédie
Western
Gangster
Fantasy
Détective & Thriller
Romance
Chaque genre contient ses sous-genres, par exemple pour l’horreur : fantômes, vampires, loups-garous, occulte, paranormal, gothique, comédie noire, horreur SF épique, horreur mythologique, etc.
N.B. cette liste concerne les œuvres de fiction
Pourquoi c’est une erreur de méconnaître le genre dans lequel on écrit
Conséquence de l’existence des genres dans les industries culturelles : toute œuvre en projet s’inscrit dans un paysage existant.
Ce paysage, qu’il faut connaître en tant qu’auteur, c’est :
Des codes
Des clichés
Des traditions
Des innovations (qui deviennent des clichés au bout d’un moment)
Bref, un héritage littéraire et culturel.
Par ailleurs, un genre déclenche des attentes chez le lecteur/spectateur.
Omettez l’aspect technologique dans la SF ou magique dans la Fantasy, et il vous en cuira.
C’est comme prendre un menu au restaurant et se rendre compte que les ingrédients ont changé.
Ou que le dessert a disparu.
Négliger cet héritage culturel est une grave erreur si vous souhaitez faire lire votre projet au-delà de votre famille et vos amis :
Parce que les éditeurs/diffuseurs sont spécialisés dans des genres dont ils connaissent codes et clichés
Parce que méconnaître les points de repère essentiels de la dramaturgie propre à chaque genre vous fait prendre des risques
Parce que, en tant qu’auteur, vous avez des qualités qui se prêtent plus facilement à un genre que l’autre
Et que votre bibliothèque mentale, qui conditionne votre originalité et vous évite des clichés, est plus ou moins bien fournie dans tel ou tel genre
Pour ma part, j’ai beaucoup lu de romans de société (classiques, comédie, historique), de science-fiction, de fantasy, et d’espionnage.
Beaucoup moins de polars purs (hormis les classiques) → je ne m’y risquerai pas avant longtemps.
1er impératif : bien exécuter les « scènes-à-faire »
Le genre crée des attentes implicites chez le lecteur/spectateur.
Dans l’art du scénario, on appelle ça des « scènes-à-faire ».
Mettons que vous souhaitiez écrire un film de cambriolage avec une enquête policière.
Le spectateur s’attend (inconsciemment peut-être) à :
Un objectif TRÈS compliqué (presque impossible) qu’il faut présenter
Une équipe de cambrioleurs à recruter, entraîner
Un enquêteur à leurs trousses
Un casse qui ne se déroule pas comme prévu
Etc.
Pour son film Le Cercle rouge, Jean-Pierre Melville affirmait avoir listé les 19 scènes archétypales du genre policier, et les avoir toutes intégrées à son scénario.
Je vous recommande ce film exceptionnel, notamment pour la scène de braquage de la bijouterie : 20 minutes sans la moindre parole.
Quelques notes et bruitages.
Hypnotique.
Une masterclass de suspense et de dilatation temporelle.
Une lectrice m’a posé une question sur le premier numéro d’Ex Libris :
« Qu’est-ce que la recette d’Aristote entend quand elle dit de bien tendre l’arc narratif ? »
Tendre l’arc narratif, c’est :
Proposer du conflit qui met le protagoniste sous pression constante et crescendo
Lui faire vivre des péripéties qui nous font éprouver terreur et pitié (la gamme est large)
Le forcer à faire des choix pour révéler sa nature
C’est d’autant plus important de connaître les scènes-à-faire types du genre de l’œuvre qu’on écrit.
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2e impératif : éviter les clichés
Une scène de grande révélation dans le salon en présence de tous les suspects…
Un inspecteur avec imperméable et chapeau…
Un aventurier « dur à cuire »…
Ce sont des clichés.
J’aime bien la définition de l’auteur Brian Sanderson :
« Un cliché apparaît quand une scène arrête d’avoir de l’impact sur votre spectateur. »
C’est-à-dire quand un élément, à force d’avoir été trop vu/lu, fait écran aux émotions et nous sort de l’intrigue.
Les clichés se nichent :
Dans les scènes
Dans les caractérisations de personnages
Dans les dialogues
Dans les métaphores et les phrases
Plus on connaît un genre, plus on est à même de les éviter ou de les détourner pour jouer avec les attentes du lecteur.
Une théorie passionnante sur la puissance des œuvres de genre et comment les utiliser à votre avantage
En 2022, John Truby (auteur de L’Anatomie du scénario) a publié Anatomy of genres.
Sa thèse :
On pourrait croire les classifications arbitraires, mais chaque genre renferme en réalité un message sur le sens de la vie, une question existentielle et propose un code éthique (tissé dans sa dramaturgie) qui y répond.
La fiction nous aide à mieux comprendre le monde et donc à mieux vivre. J’en ai parlé dans l’épisode 1 d’Ex Libris :
Par conséquent, chaque genre propose des temps forts, sortes de points de passage plus ou moins obligés qui forment une trame qui permet d’articuler son message et son code éthique.
Le lecteur/spectateur, qui connaît inconsciemment cette trame, se repère assez pour se laisser embarquer à un niveau émotionnel.
Il vit l’histoire par procuration et en ressort enrichi.
Par exemple, pour le genre de l’horreur :
Le message : vivre est un combat permanent contre la mort
La question existentielle : qu’est-ce qui est humain et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Qu’est-ce qu’accepter la différence signifie ?
Le code éthique : la prise de conscience de l’inévitabilité de la mort est ce qui nous définit, nous devons affronter nos peurs et les fantômes de notre passé
Les temps forts/ points de passage du genre de l’horreur sont, entre autres : le fantôme du passé (les péchés), le monde hanté, l’attaque du monstre, le héros comme victime, le monstre en nous, l’allié sceptique, le passage vers l’interdit, pas de révélation du protagoniste, la fin double avec la récurrence éternelle du mal
Cette thèse me convainc car les messages et questions existentielles des genres que j’ai le plus lus sont celles qui me passionnent :
Mythe : la vie est un voyage dont le but ultime est de se comprendre soi-même / que signifie pour un humain d’être doué de conscience de soi ?
Fantasy : vivre, c’est tout faire pour réaliser son potentiel / comment vivre sa vie en toute liberté, spontanéité et style ?
Science-Fiction : vivre, c’est reconnaître que nous faisons constamment des choix collectifs, notamment influencés par les technologies que nous fabriquons / comment rester soi-même dans une communauté qui nous englobe ?
Conclusion : les 2 « voies » viables quand on se lance dans l’écriture d’une œuvre avec un peu d’ambition
1. Si votre projet correspond parfaitement à un genre identifié
→ Assimilez-en les codes pour une exécution parfaite (exemple du Cercle rouge ou des Dents de la mer) ET originale.
Votre audience aura le plaisir de retrouver ces temps forts mais sous une forme nouvelle, avec votre touche personnelle.
2. Si votre projet est à cheval entre plusieurs genres
→ Identifiez le genre dominant (au risque de tomber dans la catégorie fourre-tout par excellence : la littérature générale) et creusez cette hybridation pour proposer quelque chose de neuf.
Le genre dominant est ce qui captive le lecteur/spectateur grâce à son message sur la vie. Le ou les sous-genres dont vous mixez les temps forts propose une leçon de vie de manière émotionnelle.
Star Wars : un nouvel espoir est le premier exemple d’hybridation volontaire.
On a beaucoup parlé du monomythe du héros, de Joseph Cambell, dont Star Wars suit le canevas à la lettre.
Mais, en plus du genre du Mythe, le film enchaîne les temps forts de Science Fiction, Fantasy, Action (sous-genre du samouraï), avec des touches de Western… dans l’espace !
Et il l’exécute avec brio, dans un rythme endiablé qui rend difficile (et jouissif) le fait de deviner la suite.
Du jamais vu en 1977.
Pour mon projet romanesque du moment, je me trouve dans le cas de figure 2.
J’écris une fantasticomédie policière. Une sorte de San Antonio avec de la magie, qui mixe Horreur, Détective, Comédie, Fantasy et Action.
Un petit O.V.N.I. qui m’amuse.
Où en suis-je ?
J’ai fignolé mon chapitrage suivant ma méthode que vous connaissez maintenant.
Je me lance dès lundi dans le 1er jet comme un train lancé à toute vitesse.
Je vous en dirai plus bientôt !
C’était le 2e épisode d’Ex Libris !
Ce numéro était dense comme une description de Balzac, je me suis donc limité.
Il y aurait tant à dire sur chacun de ces points !
Si vous souhaitez que j’en approfondisse un, indiquez-le en commentaire.
Le prochain épisode traitera des techniques pour capter et conserver l’intérêt du lecteur/spectateur :
Par ailleurs, si tu as l’ambition d’écrire un roman publiable, regarde mon programme pour écrire un roman et l’emmener en comité de lecture chez tes éditeurs cibles, j’ai fait une vidéo qui présente mon approche :
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Bons baisers de Nantes et à samedi !
Juste au moment où je pose ma question, je comprends! Mais peut-être que d'autres lecteurs buteront aussi sur cette catégorie: Mémoire/apprentissage. Vous avez sans doute voulu dire "MémoireS" (et roman initiatique/Bildungsroman)?
Tu es passionné et c'est donc passionnant de te lire, en plus d'être très instructif. Merci.