4 techniques pour susciter des émotions chez les lecteurs
De la plus facile à la plus experte
Bonjour et bienvenue dans Ex Libris !
Les auteurs sont conscients des émotions qu’ils suscitent.
Un des secrets de l’art narratif consiste à créer l’environnement propice au surgissement de ces émotions.
Aujourd’hui, prépare-toi à découvrir 4 techniques :
La plus facile : via l’atmosphère
La plus efficace : via les personnages
La plus subtile : via un « corrélat objectif »
La plus difficile : via le style
Chauffe le café et bonne lecture !
Une note personnelle pour commencer
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La technique la plus facile : via l’atmosphère
Technique éculée, mais qui fonctionne.
À l’aplomb du soleil, les eaux du lac avaient des lourdeurs de pétrole. Par instants, ce velours se froissait au passage d’une carpe ou d’un brochet. Le garçon renifla. L’air était chargé de cette même odeur de vase, de terre plombée de chaleur. Dans son dos déjà large, juillet avait semé des taches de rousseur.
– Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu
John Ruskin, critique littéraire du XIXe appelait cette technique le « sophisme sentimental ».
C’est « le fait d’attribuer des émotions humaines aux phénomènes naturels du monde ».
Ruskin critiquait cette technique développée par la génération romantique.
Il y voyait la décadence de l’art classique.
Car, quand on écrit météo, l’écriture a une fâcheuse tendance à s’ampouler.
C’est le premier piège, celui du style.
En revanche, utilisée de façon discrète et intelligente, cette technique permet des effets subtils.
Ainsi, le premier dialogue de La Liste de Schindler (Thomas Keneally), dans l’automne froid de Cracovie :
« Attention au trottoir, Herr Schindler », dit le chauffeur. « Il est aussi glacé que le cœur d’une veuve. »
Le deuxième piège quand on écrit météo, c’est le cliché :
L’orage révélateur d’une tempête intérieure…
La pluie battant sur les carreaux, aussi triste que le cœur du héros…
Là encore, avec un peu de talent, on peut dépasser les clichés ou les utiliser à notre avantage.
Ainsi, l’expérimenté et facétieux Romain Gary utilise-t-il le ciel anglais pour faire un portrait en négatif de son héroïne, Lady L., à la 3e page du roman éponyme :
Lady L. avait toujours trouvé que le ciel anglais était un pisse-froid.
On ne lui imaginait aucun émoi secret, aucune colère, aucun élan ; même au plus fort des averses, il manquait de drame ; ses plus violents orages se bornaient à arroser le gazon ; ses foudres savaient tomber loin des enfants et éviter les chemins fréquentés ; il n’était vraiment lui-même que dans la petite pluie fine et régulière, dans la monotonie des brumes discrètes et distinguées ; c’était un ciel de parapluie, qui avait des manières, et l’on sentait bien que lorsqu’il se permettait quelque éclat, c’était seulement parce qu’il y avait partout des paratonnerres.
(Notez les variations syntaxiques pour éviter la monotonie sujet-verbe-complément : inversions, gallicismes, effets de rythme…)
La technique la plus efficace : via les personnages
Niveau 1 : partager les émotions du personnage
Pour rappel, les 5 dimensions essentielles du personnage de roman sont :
Être : le corps qu’on habite
Faire : la somme de nos actions
Dire : la somme de nos mots
Penser : les pensées qui nous agitent
Éprouver : les émotions que nous ressentons
Le dosage permet de varier le degré de présence des personnages.
Source : 𝑉𝑜𝑢𝑠 𝑒́𝑐𝑟𝑖𝑣𝑒𝑧 ?, de Jean-Philippe Arrou-Vignaud.
Pour un protagoniste, il devient hasardeux de ne pas partager ses pensées et émotions (à moins d’un parti-pris comportementaliste).
Elle leva la tête, les yeux tout grands, avec un regard de suprême angoisse, puis un flot de sang lui empourpra la face et, anéantie de honte, elle se cacha dans ses mains […].
– La Curée, Zola
Niveau 2 : utiliser le protagoniste comme véhicule émotionnel
Je me souviens d’une interview où Amélie Nothomb déclarait travailler tout un roman en fonction de son effet de chute, de l’impression qu’elle voulait laisser.
À l’échelle locale (d’une scène ou d’une séquence), le véhicule privilégié d’émotions est le protagoniste. Si vous écrivez, imprimez-vous cette phrase dans le crâne.
C’est à lui que l’auteur fait vivre des événements.
Pour que, par empathie, le lecteur/spectateur éprouve certaines émotions.
J’en ai parlé dans l’épisode 4 :
Vous voulez que votre lecteur éprouve de la peur ?
Placez votre protagoniste dans une situation qui justifierait de flipper un bon coup.
Décrivez-là avec des détails spécifiques et uniques.
Par exemple, perdez votre héros dans une forêt hantée et magique :
Cecht […] redoutait la colère des morts, et les terribles malédictions dont le clergé du Desséché frappait les pilleurs de tombe. Comme un écho à ses craintes, un cri lugubre, presque humain, résonna dans le bois, glissant avec une rapidité anormale dans les ramures. Cecht eut un sursaut en apercevant une grande forme grise traverser le halo de sa torche, planant juste en-dessous des premières branches.
— Janua Vera, Jean-Philippe Jaworski
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La technique la plus subtile : via un « corrélat objectif »
La seule manière d’exprimer l’émotion sous forme d’art est de trouver un « corrélat objectif » ; en d’autres mots, un ensemble d’objets, une situation, une suite d’événements qui seront la formulation de cette émotion particulière ; de telle sorte que, quand les faits externes, qui doivent se terminer en expérience sensorielle, sont présentés, l’émotion est immédiatement suscitée…
– Hamlet et les problèmes, T.S. Eliot
C’est la luge de Citizen Kane (Orson Welles) → enfance perdue.
C’est le phare à la lumière verte de Gatsby (F. Scott Fitzgerald) → désirs de gloire.
C’est le porte-cigare d’Emma Bovary (Flaubert) → la vie rêvée dans la haute société.
Ces objets cristallisent et véhiculent des émotions de manière dramatique mieux que n’importe quelle formulation conceptuelle ne pourrait le faire.
Parce que l’homme est un être de symboles.
L’inconscient collectif charge de sens certains objets, couleurs, formes, rituels…
L’auteur peut sciemment en manipuler certains, les planter, les déformer, les charger du sens de son histoire.
Une très belle technique que tout le monde ne remarque pas (mais ça fonctionne chez ceux qui branchent leur cerveau).
La technique la plus difficile : via le style
À l’automne, la guerre durait encore, mais nous n’y allions plus. Il faisait froid en automne à Milan et la nuit tombait très tôt. Alors les lampes électriques s’allumaient, et c’était très agréable de flâner dans les rues en regardant les vitrines. Il y avait beaucoup de gibier suspendu en dehors des boutiques : la neige saupoudrait la fourrure des renards et le vent agitait leur queue. Les daims, vidés, pendaient raides et lourds et des petits oiseaux s’agitaient dans le vent et le vent rebroussait leurs plumes. C’était un automne froid et le vent descendait des montagnes.
— Dans un autre pays, Ernest Hemingway.
Ce passage n’a l’air de rien :
Répétitif
Des « et » à n’en plus finir.
Peu de variations syntaxiques.
Mais si vous le lisez attentivement et vous laissez pénétrer par lui, derrière l’apparente simplicité, il y a un mot — non écrit —, la mort.
Automne, froid, nuit, vent…
C’est l’histoire de soldats convalescents qui se remettent — ou pas — du traumatisme de la guerre.
Les phrases ont l’air simples, les associations d’idées sont élaborées.
Le rythme a l’air simple, il dit quelque chose de l’état d’esprit des personnages.
Ce texte est encore plus fort en anglais, où « automne » se dit « fall », comme la nuit qui tombe.
Comme les soldats à la guerre.
Vous avez compris cette technique, qui requiert le plus de travail : fondre le fond dans la forme.
Bonus
La roue des émotions est un outil intéressant pour enrichir ton vocabulaire et écrire plus finement ce que vivent tes personnages (cf. technique n° 2).
Pourquoi ?
Car, quand on écrit, les premières idées s’attachent au cercle central.
Aller un cran ou deux plus loin renforcera la force de ton texte.
Et t’obligera à te demander ce que vit vraiment ton personnage.
Cet outil de communication non violente identifie les émotions en fonction de la satisfaction ou non de nos besoins.
C’était le 9e épisode d’Ex Libris et vous êtes presque 900 dans la communauté.
MERCI !
Indique en commentaire tes questions sur cet épisode ou écris-moi par retour de ce mail. Tes avis m’aident à bâtir la suite.
Le prochain numéro, le dernier de cette série « si je devais recommencer mon parcours d’auteur de zéro », présentera comment relire son 1er intelligemment.
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Des conseils toujours au top !
Je me suis noté "Vous écrivez ?" que je ne connaissais pas. 🙏
Tu penses quoi de l'implication émotionnelle du lecteur grâce au vocabulaire sensoriel ?