Les 6 techniques clés pour capter (et conserver) l’intérêt du lecteur/spectateur
L'arsenal indispensable du conteur
Bonjour et bienvenue dans Ex Libris !
Quel est le premier job qu’un lecteur/spectateur demande à un auteur ?
Make me care.
— Andrew Staton, scénariste Pixar (Toy Story, Nemo).
Depuis 7000 ans qu’il y a des hommes et qui pensent écrivent des histoires, nous avons mis sur pied un arsenal de techniques à cet effet.
Préparez-vous à découvrir les 6 plus efficaces :
Le début in medias res
Le conflit
Les boucles ouvertes
Le crescendo de tension avec augmentation du rythme des révélations/twists
L’ironie dramatique
Le cliffhanger
Temps de lecture estimé : 9 minutes
Empoignez un espresso et bonne lecture !
1. Le début in medias res
Il embarque le lecteur/spectateur sans lui laisser le temps de se poser des questions du type :
Est-ce que le style ou l’atmosphère me plaisent ?
Est-ce que le sujet m’intéresse ?
Est-ce que ce personnage me captive ?
Une course-poursuite, une bagarre, un cambriolage, ou une dispute génèrent mécaniquement du suspense.
Mais le début in medias res n’a pas forcément besoin d’action tonitruante.
On peut être plus subtil et être « au milieu de l’action » :
Pas tout à fait. J’ai bien dû rester là encore une partie de la nuit suivante. Toute l’oreille à gauche était collée par terre avec du sang, la bouche aussi. Entre les deux y avait un bruit immense. J’ai dormi dans ce bruit et puis il a plu, de pluie bien serrée. Kersuzon à côté était tout lourd tendu sous l’eau. J’ai remué un bras vers son corps. J’ai touché. […] J’ai attrapé la guerre dans ma tête.
— Guerre, Céline (incipit)
Immersif, n’est-ce pas ?
Le début in medias res est la manière la plus efficace de lever le rideau.
C’est comme sauter sur une locomotive depuis un pont.
Le temps de vous relever, vous êtes déjà loin.
2. Le conflit
Toute bonne histoire est une action humaine difficile.
Le conflit est son moteur :
« Le chat s’assit sur le tapis » n’est pas une histoire.
« Le chat s’assit sur le tapis du chien » en est une.
– John le Carré
Le protagoniste est le personnage qui vit le plus de conflits (Yves Lavandier, La Dramaturgie).
Par empathie, nous nous identifions à lui (au protagoniste, pas à Yves).
Aussi la triade protagoniste-objectif-obstacles est-elle fondamentale. J’en ai parlé dans le 1er numéro d’Ex Libris :
Le conflit est un outil merveilleux. Il :
Augmente les enjeux
Révèle les personnalités (meilleure caractérisation que toute description)
Crée du suspense
Le suspense est une attente émotionnelle vécue dans l’incertitude.
Créez du suspense et votre audience est embarquée.
Mais attention : le conflit est relatif.
Un contrôleur de train n’est pas une menace… sauf si vous resquillez.
À vous de le maximiser dans votre récit en vous plaçant du bon point de vue.
Par ailleurs, écartez les conflits superficiels (la rivalité pour une place de parking, le choix d’un restaurant). J’ai lu cette citation quelque part :
Un problème qu’un personnage peut négliger, c’est un livre qu’un lecteur peut refermer.
Privilégiez les problèmes colossaux, les dilemmes poignants.
Eux seuls génèrent des émotions fortes.
Exemple : choisir entre la vie de son fils ou de sa fille (Le Choix de Sophie, de Alan Pakula,1982).
Certains genres concentrent leur narration sur un certain type de conflit.
Les films & romans d’aventures sur les conflits extrapersonnels, par exemple.
Plutôt que de multiplier les personnages pour enrichir une œuvre, variez les types de conflits. Il y a 3 niveaux de conflit :
Intimes
Personnels
Extrapersonnels
Votre histoire perd en intérêt ?
Avez-vous construit de vrais conflits qui rendent l’issue incertaine ?
Avez-vous varié les types de conflit ?
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3. Les boucles ouvertes
Selon David Lodge, dans L’Art de la fiction, un récit n’a qu’un moyen de tenir en éveil son public :
Lui faire se poser des questions et en différer les réponses.
Les questions se classent en 2 catégories :
1) Les questions ayant trait à la temporalité (« Et maintenant, que va-t-il se passer ? »)
→ C’est du suspense. On vient de le voir avec le conflit.
2) Les questions de causalité, d’ordre intellectuel (« qui a tué ? pourquoi ? »)
→ Ça renvoie au mystère.
Ces questions sont des boucles ouvertes.
Les grands romans ouvrent des boucles dès les premières pages, voire dès les premières lignes :
C’était une belle et froide journée d’avril et les horloges sonnaient treize heures. »
— 1984, Georges Orwell
Treize heures ?! Qu’est-ce que ce monde ? → boucle ouverte de causalité.
Le pendant du début in medias res côté mystère est d’avoir une image initiale forte qui suscite des questions.
Pour son premier roman, Glacé (2011), Bernard Minier cherchait une scène frappante pour se démarquer des autres manuscrits.
Il a trouvé l’idée d’un cadavre de cheval sans tête accroché à une falaise à 2000 mètres d’altitude, à côté d’une centrale hydroélectrique et d’un centre psychiatrique de haute sécurité uniquement accessible en téléphérique.
De quoi soulever quelques questions et ouvrir une belle boucle.
Un bon auteur égrène des boucles ouvertes d’ampleurs différentes au long du récit.
Dans la série des Harry Potter, J.K. Rowling était forte à ce petit jeu, avec des boucles :
À l’échelle d’une scène : qu’est-ce qu’un vif d’or ?
À l’échelle d’un roman : qui est le prince de sang-mêlé ?
À l’échelle de la série : quel est le véritable rôle de Severus Rogue ?
4. Le crescendo de tension avec augmentation du rythme des révélations/twists
Ce point prolonge celui sur le conflit.
Les intrigues captivantes organisent un crescendo de tension.
Comment ?
En agençant les conflits par ordre croissant d’impact.
En général, ils sont couplés avec des révélations, ou twists, dont le rythme augmente.
Ce faisant, elles remettent en question l’idée qu’on se faisait de l’œuvre (son thème, sa direction, sa conclusion).
Le film L.A. Confidential, de Curtis Hanson (1997) l’illustre (spoiler) :
Ça part d’un braquage qui a mal tourné
On découvre un trafic de prostituées grimées en stars du cinéma
Et il y a du chantage
La mafia organise ça
Mais des policiers corrompus sont dans le coup
Et la mairie de Los Angeles trempe dans l’affaire
Et en fait, ça parle de policiers qui veulent tenir la mafia
5. L'ironie dramatique
C’est quand le lecteur/spectateur obtient des informations cachées du protagoniste.
Cela crée mécaniquement du suspense :
« la victime découvrira-t-elle, quand et comment, ce qu’elle ignore ? »
– Construire un récit, Yves Lavandier,
J’ajouterais : « et quelles seront les conséquences ? »
Le public participe, même si l’histoire lui importe peu.
Exemple : la scène d’ouverture d’Inglorious Bastard, de Quentin Tarantino (2009).
Dans la France occupée, un fermier reçoit la visite d’un colonel SS courtois, mais redoutable manipulateur, à la recherche d’une famille juive.
Au milieu de la scène se produit un climax médian, une révélation de mi-parcours : la famille juive se cache sous le plancher de la cuisine, où la discussion a lieu.
Un clin d’œil à la célèbre « bombe sous la table » d’Alfred Hitchcock.
Elle induit une ironie dramatique puissante : quand le colonel la découvrira-t-il ? Comment ? Et quelles seront les conséquences ??
Cette scène est interminable : 17 pages du scénario, 13 minutes.
Mais une masterclass de tension.
6. Le cliffhanger
C’est une fin ouverte qui donne envie de connaître la suite.
On l’utilise à la fin d’un chapitre, d’un roman, d’un épisode de série, voire d’un film.
Le terme vient d’un roman-feuilleton de 1873, A Pair of Blue Eyes, de Thomas Hardy.
À la fin d’une partie, Hardy le vicieux laisse son héros suspendu à une falaise.
Le cliffhanger est né.
Un spectateur retient deux fois mieux les fins ouvertes (la toupie dans Inception, ça vous parle ?).
La raison ?
Le cerveau humain n’aime pas les tâches inachevées.
Surtout quand il y a un investissement personnel fort.
Comme dans les œuvres littéraires ou audiovisuelles.
Le sujet des cliffhangers est chouette, j’y consacrerai un numéro d’Ex Libris.
Je vous y dévoilerai notamment que
C’était le 3e épisode d’Ex Libris !
Ce numéro était dense comme une phrase de Proust, je me suis donc limité.
Il y a pléthore d'autres techniques : la voix narrative, la mécanique scène-sequel, le 2+2, l'originalité...
Indiquez en commentaires les points que vous voulez que j’approfondisse.
Le prochain épisode dévoilera… :
C’est un art, et il y a une technique pour ça.
En attendant, petite question :
Par ailleurs, si veux accélérer sur l’écriture de ton roman, j’ai ouvert des créneaux de coaching littéraire : réserve ici 45 minutes (gratuites) de découverte.
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Bons baisers de Nantes et à samedi prochain !
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Très fan de ton utilisation du cliffhanger 😄 En termes de masterclass dans le domaine, je pense qu’on ne fera jamais de fin plus réussie et inoubliable que celle de
Merci, c'est drôle, instructif et tellement humain #çafaitdubien.